samedi 2 août 2008

L’effet soupe



Ici le café est une religion. Peut-être pas autant qu’en Italie, à ce qu’on me dit, mais c’est du sérieux. Le café est un vecteur social; si tu ne prends pas le p’tit caf avec les collègues au travail, ton chien est mort. En deux semaines, t’auras ton étiquette de « loner » et on te traitera avec suspicion.

Le café est bon. Je l’ai déjà dit, même dans la machine à 30 centimes d’euros, il vaut l’espresso qu’on paie 3 dollars à Montréal (en sachant très bien qu’on se fait fourrer par un système de prix fixés). C’est un café dense, fort et bien tassé. À la limite, sirupeux. Un coup de fouet qui s’avale en deux gorgées.

Depuis mon arrivée, je m’envoyais deux cafés en arrivant au bureau le matin. Après j’avais 10 minutes de palpitations cardiaques et je m’essuyais les narines compulsivement (va savoir pourquoi). Et je me suis posé la question : pourquoi deux?

Source photo : wikipedia.


La réponse, je l’ai trouvée quelques jours plus tard au MaqueDo (l’équivalent du MèqueDo au Québec). En France, et ça commence au Canada je crois, il y a des McCafés. C’est le genre café-gourmet et pâtisseries, un peu comme Starbucks ou Second Cup. Ils font un grand café 300ml à l’américaine. C’est un allongé très allongé, mais avec suffisamment de café pour que ça soit un vrai café qui sent le café, goûte le café, et donne un peu de bonheur. C’est pas le truc verdâtre et acide qui dort dans le silex depuis quarante minutes, vous savez, celui qui avait une mauvaise réputation très méritée.

Mon premier café McDo 300ml m’a tellement fait de bien. Il venait combler quelque chose que l’espresso français n’arrivait pas à satisfaire. J’ai alors compris. Sans que je me rende compte, je m’ennuyais de l’effet « soupe ».

Un matin de semaine dans n’importe quelle ville américaine (je parle du continent, Canada inclus), à peu près une personne sur deux se promène avec un grand gobelet en carton. Les plus gros frisent le 700ml. Les Français nous voient dans les films et ne comprennent rien pantoute à cette manie. Dans l’Hexagone, le café se boit à coup de petites tasses d’environ 60ml.

D’après moi, en France le café est perçu comme une ligne de coke légale, un truc qui doit être intense et rapide. Allez hop, cul-sec. Chez nous, en plus de ses vertus de stimulant, le café joue un rôle de boisson chaude. Quelque chose de réconfortant qu’on peut prendre à deux mains, de la même famille qu’un bouillon ou une soupe. C’est pas pour rien qu’il y a du bouillon de poulet dans nos machines à café, chose qu’on ne voit jamais ici.

Peut-être que c’est l’hiver qui a modelé notre culture du café. Le besoin de se réchauffer. Et comme le café ne reste pas chaud longtemps en format 60ml, on a adopté une autre approche. Plus je passe temps ici, plus je me rends compte que nous, les Québécois, sommes beaucoup plus Américains qu’on veut bien le penser. Que ça déplaise ou non aux souverainistes.


3 commentaires:

Vélo d'hiver Montréal a dit…

"Un matin de semaine dans n’importe quelle ville américaine (je parle du continent, Canada inclus), à peu près une personne sur deux se promène avec un grand gobelet en carton. Les plus gros frisent le 700ml. Les Français nous voient dans les films et ne comprennent rien pantoute à cette manie."

Je vis à Montréal depuis 4 ans et j'ai pu faire le même genre de constats sur la relation à la nourriture dans les deux cultures.
En France, les repas sont généralement cantonnés à des heures relativement précises. Il y a quelque chose d'indécent à se promener avec sa nourriture en dehors des heures de repas. Une personne qui mange ou boit en travaillant sera perçue comme moins disponible ou s'octroyant un temps de pause supplémentaire (café=pause en France), voir adoptant une attitude désinvolte face à son travail.

En Amérique du Nord, les prises de nourriture sont plus étalées au cours de la journée. Le matin, les gens se rendent à leur travail avec leur tasse en inox de 16 oz, comme une extension naturelle de leur bras. À mon arrivée à Montréal, je me disais que les gens ne prenaient pas vraiment de "petit déjeuner". C'est partiellement vrai. Le petit déjeuner ainsi que les autres repas sont moins ritualisés qu'en France.

En Amérique du Nord, le café assure une présence rassurante, réconfortante, forme un continuum digestif entre deux prises de nourriture. La différence entre les deux cultures se situe dans le rapport affectif à la nourriture pour les Américains, et ritualisés, à fonction sociale pour les Français. Il y a bien sûr des chevauchements entre ces deux modèles (développement des fastfoods en France, apports culinaires des immigrants à Montréal).

"C’est pas pour rien qu’il y a du bouillon de poulet dans nos machines à café, chose qu’on ne voit jamais ici."

Dans mes souvenirs de France (Université et lieu de travail), j'ai toujours eu accès à des soupes (tomates ou poulet-vermicelles) sur les mêmes machines qui distribuaient du café, thé, chocolat. Je parle de machines au format "collectivité".
En passant, les bouillons en machine sont de belles cochonneries compte tenu de leur teneur en sel et en gras.

Anecdote extrême: un Québécois en congrès à Lille (Nord) se promenait dans la rue avec une bouteille d'alcool dans la poche de son pantalon. Pour lui les français avaient une relation décomplexée face à l'alcool. Son attitude se basait sur sa culture télévisuelle et ses représentations de la France.

Comme quoi, aller à la rencontre d'une autre culture, c'est commencer par désarmer ses représentations de l'autre. Mais c'est ce qu'il y a de plus difficile à faire.
Les représentations, aussi simplificatrices soient-elles, servent la cohérence sociale. Mais il faut savoir les analyser sans vouloir systématiquement opérer des comparaisons entre les deux modèles.

Nul ne détient la vérité. Ce sont juste nos attaches bien réelles à nos origines qui nous poussent à valider/invalider ces expériences différentes du quotidien.

La clé pour réussir son expérience d'expatriation est de se dire que le nouvel environnement est différent et que tout jugement est stérile.

Mon nom est Paul a dit…

Merci pour cette opinion éclairante.

Dans ce genre d'expérience, le jeu des comparaisons est inévitable. J'ai d'ailleurs une note à ce sujet, pour une future entrée de blog.

Pour moi, l'intérêt de mon blogue réside dans la possibilité de le relire dans 12 à 18 mois. Je pourrai alors constater l'évolution de mes perceptions.

Pour le moment, il faut y voir une réaction à chaud, parfois le fruit d'une incompréhension, d'une découverte, ou d'un questionnement naissant. Ce que j'y dit a peu d'importance. C'est le carnet de bord de mes erreurs de perception.

Ce qui m'intéresse, surtout, c'est l'émotion sous-jacente au propos. Dans quelques mois, ce que ce blog pourra dire à un futur expat, ce n'est pas "Voici ce que tu découvriras", mais plutôt "Voici comment tu te sentiras".

L'exercice est aussi un lieu où je peux exercer une activité d'expression, tout en essayant de faire rigoler un peu les copains.

Donc, ne pas me prendre trop au sérieux. Parfois, je suis volontairement démagogue. J'abuse des préjugés. Surtout, ne pas vous vexer de mes propos.

Merci de me lire. Quand à moi, je lis tous les commentaires.

DnD a dit…

Je crois que je viens de comprendre pourquoi je bois des grands cafés au lait : la recherche de cet "effet soupe".
Petit mot pour signaler tout de même que je me régale avec vos billets depuis que Laurent Gloaguen vous a signalé sur son blog.