mardi 27 janvier 2009

Enfin la grève



Ça fait des mois qu’on me dit ça sur le ton des grandes vérités catholiques : « Aaahhh, tu connais pas la France tant que t’as pas vécu ta première vraie grève. » Alors je vais enfin la connaître, la France. Le jeudi 29 janvier, c’est grève totale à travers tout le pays. Les transports, le système d’éducation, l’audiovisuel public, la poste, France Telecom, les aéroports, la justice, les banques (!), et même les PME. Armageddon. C’est à se demander si les poules pondront. Ce jeudi, la France est à « off ».

Le prétexte de cette paralysie globale, selon la Voix du nord, est on ne peut plus flou : « Demander des mesures urgentes pour surmonter la crise ». Yeah right, comme si Nicolas à lui tout seul pouvait régler le problème. Peut-être que Carla a des idées? Ou pourquoi pas Ségolène! Le Monde rapporte que les syndiqués des milieux financiers exigent aussi « l’amélioration des conditions de travail » et « la nécessité de se recentrer sur le cœur du métier ». Autre revendication creuse tirée de l’Express : « Il faut mettre du social dans la relance ». Donc, puisque c’est comme ça, j’aimerais unir ma voix à celle des manifestants en proposant mes propres revendications : « Je réclame que soient avancées des pistes de discussion visant à promouvoir une amélioration notable de la joie dans les cœurs de la collectivité, préférablement de manière individuelle et équitable ». Ainsi que « J’ordonne que dans l’avenir on envisage des moyens de donner au Peuple français les moyens d’envisager son avenir, si possible dans un ordre préalablement convenu, sauf le dimanche et les jours fériés, en respect des libertés multiculturelles, et dans le souhait d’une cohésion globale des efforts requis pour un vingt-et-unième siècle en constante mutation au cours duquel nos acquis seront évoqués de façon discernable ».

Malheureusement, je ne peux pas joindre le groupe des manifestants, parce que je fais partie du groupe de ceux qui doivent travailler pour être payés. Je fais partie de cette majorité de petits crétins de capitalistes qui veulent travailler, par choix, ou en grande partie par nécessité. Ces moutons qui n’ont rien compris et qui joueront du coude, ce jeudi à Châtelet, dans l’espoir d’attraper l’éventuel métro des « services essentiels ». Un métro qui sera certainement bondé de manifestants en route vers l’Élysée. Mon autre option, c’est de marcher. J’ai calculé environ quatre heures de marche pour l’aller-retour entre chez moi et le travail. De Nation à La Défense, deux fois. C’est le tout nouveau GR-29J.

Source photo : wikipedia.


Cette majorité de petits travailleurs abrutis par le système, on l’entend râler sur les blogs. Ça dénonce. Ça déchire sa chemise. Ça parle de prise d’otage. Ça vilipende les conducteurs de train qui, pour une rémunération dans la belle moyenne, travailleraient dans des conditions rêvées. On parle de 25 à 30 heures par semaine. Treizième mois annuel (lire bonus annuel de 8,5%). Âge moyen de la retraite à 54 ans avec 85% du salaire. Quatre mois de vacances annuelles. Et multiplication des primes : prime de qualification, prime de rendement, prime de dimanche, prime de travail de nuit, prime de salissure ou prime de soudure. Moi, je n’ai pas vérifié, alors je ne peux pas certifier ces affirmations. Reste que la petite classe moyenne, celle qui n’a pas de primes et juste cinq semaines de vacances, elle grogne très fort contre la grève.

Et pourtant… Selon Le Parisien/Aujourd'hui, sept Français sur dix déclarent 'soutenir' ou 'avoir de la sympathie' pour la mobilisation de jeudi. 70% des gens en faveur de la grève. Obama, que tous adorent, obtient un taux de satisfaction moindre pour les premiers jours de son mandat : 68%. Donc, tout le monde râle contre la grève, mais la très grande majorité l’appuie.

Finalement, je ne suis pas certain de mieux comprendre la France. Chose certaine, si ce pays à donné naissance à Descartes, il n’en a rien à cirer de la logique dite « cartésienne ». En fait, je commence à croire que comprendre la France exige d’abandonner tout système de pensée fondé sur la logique. D’une certaine manière peut-être que ce pays est une sorte d’espace poétique. Une nation qui s’abreuve de métaphores. Un lieu où l’auto-contradiction, comme le contraste en Pop Art, jouit du statut d’argument. Où l’affirmation et son contraire s’unissent dans une propension vers la stabilité doucereuse du zéro absolu. Il n’y a pas si longtemps, après son élection au PS, Martine Aubry disait d’un seul souffle qu’elle acceptait le résultat tout en contestant le processus. Et même si 47% des Français ont appuyé le PS aux élections présidentielles de 2007, je ne trouve jamais personne qui déclare haut et fort : « Moi, j’ai voté pour Ségo ». Dans le contexte d’un pays gouverné à coups happenings sociaux, la grève est peut-être une sorte de manifestation artistique où se mêlent toutes les revendications. Un Woodstock du ras-le-bol? Un cri collectif dans une lignée expressionniste-abstraite. (Wow, je pourrais écrire la préface d’un Taschen! Est-ce que c’est bien payé?)

C’est quand même bien la grève, car je prendrai jeudi une grande marche de santé. Ça me donnera le temps de réfléchir un peu. À des moyens de pression syndicale qui pourraient faire chier le dirigeant, et non le petit travailleur. On pourrait par exemple ouvrir toutes les guérites des métros et faire une journée de transports gratuits. Les policiers pourraient émettre des PV aux limousines. Aux Halles, les fonctionnaires de l’immigration pourraient renouveler les titres de séjour sur simple présentation d’un sourire. Les syndiqués du secteur financier pourraient empêcher pour une journée tout retrait ou dépôt sur les comptes de l’État. Ou sur les comptes des conducteurs de train; ça serait bien, de leur servir leur propre médecine. Je pourrais aussi songer à joindre un syndicat et profiter de journées payées à ne rien faire…

Tiens donc! Et si c’était ça le vrai objectif de la grève : grossir les rangs. Une simple guerre de pouvoir où les travailleurs servent de chair à canon dans un affrontement entre chefs d’État et chefs syndicaux. Belle hypothèse. De quoi occuper les esprits des bataillons qui marchent, sans solde, pour dénoncer la diminution de leur pouvoir d’achat. Ou des petits fantassins qui tentent de sauver leur peau dans la tranchée d'un RER paralysé.


3 commentaires:

Philippe-A. a dit…

Word.

Anonyme a dit…

Ça donne quoi ces grèves ponctuelles ?
Moi, je n'y crois pas, surtout avecSarko comme président !

Anonyme a dit…

«D’une certaine manière peut-être que ce pays est une sorte d’espace poétique. Une nation qui s’abreuve de métaphores.» J'aime! :-)

Dis, tu peux pas envoyer quelques Français chez TVA Publications, Paul? Pleaaaaase? S'ils ont tous la ferveur de Sylvianne qui a commenté ton billet précédent, les pigistes finiraient peut-être par se faire entendre! lol