mercredi 28 janvier 2009

Ze Grève (part II)



Avant qu’on m’empaille parce que j’ai osé remettre en question la pertinence d’une des plus sacro-saintes institutions de la République, et avant qu’on me serve un éloquent « Si t’es pas content, t’as qu’à aller te faire voir chez les Eskimos », j’aimerais préciser ma pensée au sujet de la grève.

La grève en soi, elle me fait pas trop chier. J’ai du poids à perdre, alors c’est bon pour ma santé de marcher un peu et de livrer quelques rounds de boxe dans les transports publics. Non, ce qui me méduse, c’est plutôt d’entendre les gens râler contre, pour ensuite se prononcer en faveur dans un sondage. J’essaie de comprendre la France, aidez-moi un peu siouplaît.

L’autre point qui me laisse perplexe, c’est le flou artistique qui entoure l’événement. Que peut espérer une foule qui se prononce simultanément et cacophoniquement sur environ 38 sujets, à coups de formules vaseuses comme « Il faut mettre du social dans la relance »? Quel gouvernement pourrait être inquiété par ce genre de demande? Moi, si vous voulez, je m’engage sur le champ à « mettre plus de social dans la relance ». Pas trop difficile. Suffit d’ajouter un fonctionnaire de l’éducation dans un sous-comité du ministère des Finances. J’aurai mis plus de social de la relance; personne ne pourra le nier.

Si au moins les revendications étaient nettes, coupées au couteau. Le genre de truc auquel on est forcé de répondre oui ou non. Augmenter le SMIC de 50 centimes l’heure. Diminuer telle taxe à la consommation de 1%. Fixer un plancher de X pour ceci, établir un plafond de Y pour cela. Mais là, avec des trucs flous comme «des mesures urgentes pour surmonter la crise », y’a pas de quoi faire trembler un gouvernement.

Moi, si j’étais Nicolas, je passerais la journée bien peinard chez moi à regarder des rediffusions de Walker Texas Ranger. Puis, en fin de journée, je monterais sur une tribune, devant une foule de figurants déguisés en manifestants. Et j’y ferais un beau discours lénifiant rempli belles promesses toutes aussi creuses que les revendications.

Source photo : wikipedia.


« Français, Françaises, nous vous avons EN-TEN-DUS. (applaudissements -- lancer des fleurs aux manifestants) JAMAIS la France n’a laissé entendre sa voix avec une telle FORCE, signe de sa VIGUEUR IN-DU-BI-TABLE! Vous, citoyens, citoyennes, êtes le CŒUR de notre nation, ses VALEURS et sa FIÈRTÉ. (la foule se réchauffe) Vous êtes la VOIX de ce pays; nous devons vous É-COU-TER, et nous nous y EMPLOIERONS! (tonnerre d’applaudissement, au moins 30 secondes) Je vous en fais la PROMESSE SOLLENELLE! (les applaudissements se poursuivent). Dès demain, moi et Carla débuterons la mise en place d’une série de mesures visant à remettre du SOCIAL DANS LA RELANCE! (autoritaire) Nous FORCERONS le monde financier à se RECENTRER SUR LE CŒUR DU MÉTIER! Les conditions de travail seront A-MÉ-LIO-RÉES! (le poing dans les airs) ENSEMBLE, et surtout grâce à VOUS, nous SURMONTERONS LA CRISE! (la foule est en délire, le président vient d’acquiescer à toutes ses demandes) »

Et voilà. Nicolas peut rentrer et dormir tranquille. Le lendemain, les métros n’auront pas de retard à Gare de Lyon. Sur l’avenue des Champs-Élysées, au lieu des slogans on entendra les habituels klaxons.

Parce que la grève de jeudi n’est qu’un petit rot de castrat. La carte postale jaunie d’un lointain mai 68. On la fait par habitude, parce que ça a déjà marché. En principe, son objectif est de faire trembler les politiciens. Mais ça ne fonctionne plus. Ils s’y sont habitués. Ils savent comment la gérer. Selon moi, si mai 68 a si bien fonctionné, ce n’est pas parce que les gens faisaient la grève : c’est parce que c’était inédit. Ce que j’ai remarqué dans tous les documentaires que j’ai vu sur le sujet, c’est que les dirigeants de 68 étaient tétanisés. Terrorisés. Ils ne comprenaient pas le mouvement. Ils sentaient le pouvoir leur glisser des mains, et ne savaient plus quoi faire pour le récupérer. La grève n’est qu’une tactique. L’important, c’est de faire osciller la balance du pouvoir. Or, aux échecs, tu me déstabiliseras une ou deux fois avec ta nouvelle tactique. Mais après un moment, je saurai comment la parer.

Les Français croient encore en leur démocratie. Ça les pousse à descendre dans la rue. C’est très honorable. Nous, Canadiens, désabusés par nos politiciens grisâtres, soporifiques et ratoureux, nous ne pouvons que lever notre chapeau à la France. Le geste est beau. L’espoir existe. Mais selon moi, les citoyens doivent revoir leur stratégie. Ça ne sert plus à grand-chose de paralyser le pays pendant quelques heures. Ce qu’il faut, c’est faire trembler le politique avec des moyens inattendus. La ligne Maginot, vous connaissez? Alors passez par les Ardennes et par Sedan. Il me semble que c’est ça le devoir social des temps à venir : être créatif. Réinventer le mouvement. Et faut peut-être pas attendre ça de gens qui ont écrit la boutade : « Moi, j’suis pas payé pour réfléchir ». D’ailleurs, si mes sources sont bonnes, ce ne sont pas les grands syndicats ont lancé mai 68. Ils s’y sont associés. Mais le mouvement venait de plus bas.

En attendant, moi je marche et c’est bon pour ma santé. Bonne chance au citoyen. Je lui souhaite d’être entendu. Sincèrement.


4 commentaires:

Anonyme a dit…

Même Mai 68, il a suffit que De Gaulle revienne d'Orient pour qu'il arrête tout d'un seul geste.
Pas si fort que ça les manifs....

sylviane a dit…

Et le rot de castrat s'est transformé dans ma petite ville de 30 000 habitants en un beau chant de solidarité citoyenne! Du jamais vu depuis longtemps et je suis fière d'y avoir participé.
Quand à vous Garamond335 ou étiez-vous en mai 68 pour en parler aussi bêtement? Dans vos langes? Où dans la nébuleuse des futurs bécasseaux à venir?
En attendant l'ami Paul, continue d'écrire tes billets, j'adore! Et je ne t'envoierai pas te faire voir chez les Eskimos, en cas de désaccord, mais plutôt te faire mettre (comme on dit chez nous) chez les Grecs.M'enfin!!!

http://fsimpere.over-blog.com a dit…

Zut, j'avais fait un long com' et il s'esn effacé! Sabotage... Juste dire que cette grève marque un sentiment d'injustice entre d'une part des banquiers, financiers, qspéculateurs qui se sont scandaleusement enrichis et ont fait craquer le système, et les autres, qui bossent et ne s'enrichissent pas et à qui on veut faire supporter les dégâts causés par les premiers. Les premiers devraiet être en prison alors qu'on leur prête des milliards... Ca, c'est ce que j'ai vu et entendu dans la foule (jk'e reviens)
A titre perso, je pense qu'il faut se débarraser de ce système économiquement, écologiquement et humainement pourri et apprendre à vivre et penser tout à fait autrement. Et là, faudra plus qu'un jour de grève pour y arriver.
Allez, bienvenue, Caribou!

Unknown a dit…

Merci pour tes messages! Ça fait du bien de lire quelqu'un avec un oeil critique comme le tien... et de mon côté, je pense que tu devrais être engagé pour écrire les discours de Nicolas. Tu désamorcerais les conflits en moins de 2! ;-)