vendredi 27 janvier 2012

Professions interchangeables

Karl Lagerfeld et Zahia Dehar... Pourquoi j'ai l'impression que ces deux artistes sont faits pour aller ensemble ?

Pour ceux qui, outre-Altantique, ne connaissent pas Zahia, c'est cette charmante dame qui a hérité d'une certaine célébrité lorsqu'ont été ébruitées des histoires de "rencontres tarifées" avec des joueurs-vedettes de l'Équipe française de foot. Hormis des atouts physiques évidents, la demoiselle jouissait aussi, au moment des faits, du statut de mineure (au sens de la loi). Scandale opportun, dans la foulée d'une Coupe du Monde décevante pour les Français. Et qui d'une certaine manière a porté l'artiste jusqu'au lancement de sa propre ligne de lingerie. Comme quoi les voies de la célébrité sont diversement pénétrables.

Je n'ai pas trop d'empathie pour le Lagerfeld public. Il me fait l'effet d'un croque-mort affecté, parfois un peu à la traîne. Mais mon regard manque de profondeur et s'appuie sur des impressions médiatiques. À son sujet, retenez plutôt l'avis des experts de la mode, qui sauront être plus justes. Et je n'ai rien à dire sur l'homme derrière les lunettes fumées.


Source photo : wikipedia.


Reste que dans l'association Zahia-Lagerfeld, au delà d'un premier réflexe marqué de cynisme, je dois m'arrêter un moment pour saluer la "vision" du couturier. Un pied dans le scandale, l'autre dans l'audace, il joue par cet acte son rôle d'artiste, soit celui de nous jeter à la gueule des clichés instantanés de notre temps.

Cette séance de photos est un trait, une poésie, un distillat. Pêle-mêle, elle nous balance en quelques images un commentaire sur la célébrité, le commerce, ce qui fait vendre, nos désirs et aspirations, l'ambition, la pertinence (et l'impertinence), la valeur (en baisse) de la durée.

À mes yeux, Lagerfeld (re)souligne l'obsolescence de la tradition, du mérite, de la constance, de la qualité, de l'effort. La fin des monarques indétrônables, des arrivés, lui-même inclus. Le designer s'inscrit dans son temps, notre temps, l'ère de l'événement. La communication. La publicité. L'instantanéité. L'investissement minimal pour un profit explosif, sans lendemain. La célébrité-guérilla. Les kamikazes du spectacle médiatique. L'absence de produit autre que le bruit. Paris Hilton. Lady Gaga. La comédie de suicide. La nouvelle couleur de l'ambition.

Le nouveau pouvoir réside dans cette capacité à garder les projecteurs sur soi, dans une époque où leurs faisceaux courent chaotiquement d'un fait-divers à l'autre. Le perdant d'aujourd'hui n'est pas un "vaincu", mais un "ignoré".

Le commentaire de Lagerfeld est contradictoire, en connaissance de son rôle dans une maison qui joue la tradition. Aussi, un aveu triste, dans cette tentative à bas prix de refaire sa cote d'insolence. De retarder un peu l'inévitable et impardonnable pathos associé au vieil âge.

Lagerfeld nous crache à la gueule. C'est ce que nous lui demandons. Depuis des années, mais encore plus aujourd'hui. Crache mou, mais crache encore.


Quelques citations attribuées à Lagerfeld
  • Ma curiosité est insatiable, je vampirise l’air du temps.
  • Être heureux ? Non, je ne suis pas si ambitieux.
  • Je suis comme une caricature de moi-même. C'est comme un masque. Pour moi le Carnaval de Venise, c'est toute l'année.
  • Je déteste avoir des conversations intellectuelles, seule ma propre opinion m'intéresse.

La dernière me rejoint...

Aucun commentaire: